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Les cochons

Huile sur toile marouflée sur bois, 59 x 43,5 cm, 2017.

La vie de l’art comprenez-vous, c’est quelque chose dont tout le monde hérite !
Rien ne vit ni ne se cultive pour soi dans la nature.
Le corps n’y est pas un lieu de possession, de soumission. Chaque forme, chaque être peut s’y manifester dans un langage en perpétuelle métamorphose de lui-même et d’autre chose que lui-même.
Les sens physiques lient l’être au monde en même temps qu’à travers eux se façonne l’apprentissage du geste, du chant, de la parole, d’une réflexivité.
L’interdépendance entre un être et la nature est entière.
Isolé de ce qui se manifeste à lui à travers les sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, du toucher, un animal sera privé d’évolution, l’homme lui, pourra devenir semblable à une machine et à ce titre être dépourvu de responsabilité, de sens moral, de destin.

Juste le regard d’un vivant.
Un regard sans pouvoir, sans croyance, sans religion.
Un regard isolé de la fraîcheur de la rosée, de l’odeur de l’humus, des bruissements de feuilles, des chants d’oiseaux, de l’éclosion des fleurs de printemps crépitant au ras du sol comme un ciel étoilé jaillissant de terre. Isolé aussi des variations de la lumière, d’une forêt qui s’enflamme en automne pour, alors que le soleil décline, venir éclairer une vie terrestre autrement. Architecture en perpétuelle mouvance, géométrie tissée de mémoire que les animaux et les plantes transcrivent et gravent dans la matière, l’espace et le temps.

Juste le regard d’une truie, séquestrée pour toute sa vie entre des barreaux d’acier sans que jamais, dans ce sarcophage à peine plus grand que son corps, elle ne puisse approcher, lécher ou tenter de défendre ses enfants autrement qu’en poussant un cri lorsque elle les voit se débattre et hurler de douleur entre les mains d’une société qui sans trembler leur tranche à vif la queue, les dents et le sexe avant de les jeter en cellules d’engraissement.

Juste le regard d’une truie considérée par notre société comme un être tout juste bon à produire de la viande de cochon.

Juste le regard d’une truie qui de sa sortie d’un camp d’élevage à sa sortie d’un camion qui la conduit à l’abattoir n’aura, levant la tête, vu du ciel qu’un plafond de viande sanguinolent.

Que reconnaissez-vous de vous-mêmes dans ce qui a lieu ?
Que reconnaissez-vous de la vie dans ce que vous y avez inscrit ?
Que reconnaissez-vous de la vie dans votre vie ?
Qu’êtes-vous de la vie même, à l’intérieur de vos actes les plus quotidiens, les plus anodins !? Parce que c’est aussi là que les choses arrivent.

La flamme d’une vie vacille au milieu d’autres vies. Elle dit :
Sans repos forcément, voilà ce que je sais, voilà ce que j’ai vécu, voilà ce que, prise dans la société où vous vivez, vous m’avez fait partager durant ma vie.

Yvan Chatelain

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