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Le désert de la non-réponse

Huile sur toile, 145 x 65 cm, 2010.

Le désert de la non-réponse - Yvan Chatelain

« L’ombre d’aucune migration n’est venue cette année fertiliser le sol. L’arc d’aucun vol d’oiseaux n’affleure plus au-dessus de la terre. Le ciel est vide. Nulle distance ici ne tend son chant. L’espace reste infranchi. Et le monde nous revient... crié dans le désert de la non-réponse que nous avons nous-mêmes engendré.

Les formes se décomposent. La lèpre gagne les os, le langage, l’encre sur la page.

La vieillesse s’effrite – elle ne trouve plus dans les corps le poids d’un vécu. Elle garde le silence près de la lampe qui est restée allumée... Dans la pièce à côté, nous sommes l’abandon de sa présence, le reniement de ses mains plongées dans le passé, de ses mains : ce précipité minéral trempé dans l’expérience. Ces mains fines, ce sont elles qui nous regardent aujourd’hui à travers la peau usée, jaunie où la flamme d’une vie vacille dans le reflet d’autres vies qu’elle porte en mémoire. Ces mains... nous les laissons glisser dans le froid. Il fait nuit. Les derniers mots d’elles s’effacent de nous. Il ne reste que la pression d’une absence... la ciselure d’une absence. Les cendres du temps ont été déposées, à l’abri, dans l’urne.

La vieillesse, n’était pas la sclérose, mais ce qui sépare ce qui s’est durci de ce qui a cristallisé pour fleurir.

La vieillesse... qui était nos mains comme l’ombre d’une migration tracée sur la terre pour joindre deux points qui se trouvaient séparés l’un de l’autre. La vieillesse comme ce qui vient avec le temps : vivre pour comprendre.

Il ne reste aujourd’hui que le tremblement des membres et une taie jaunie sur la mémoire. L’empreinte du monde se détache de nous. Nos corps se dessaisissent de la parole du récit. Le vieillissement n’est plus pensé par la science que comme une maladie.

 

Nous sommes devenus si extérieurs à nos actes, si improbables dans nos choix, si futiles dans nos souvenirs. Nous sommes les spectateurs de notre non vécu où enfle l’impossibilité de nous sentir concernés par cela même qui arrive, nous arrive. La vie reste infranchie et le siècle infranchi dans nos vies...

De moment en moment, il y a encore ce sautillement nerveux qui persiste dans la jambe comme un dernier sursaut réduit à l’impuissance – la marque d’un manque (être en manque).

Accélération ! Le monde de la consommation dévore tout en se dévorant lui-même. La vie ne subsistera pas au rendement. La vie – si menacée dans sa lumière de lucioles.

Les idéologies ont tellement défiguré le langage... Le non vécu gagne du terrain chaque jour. Il gagne nos habitudes, nos pensées, notre sommeil, nos rêves, nos désirs, nos écritures... Le monde extérieur et le monde intérieur se transforment en paysages touristiques. La transparence met la parole sous surveillance... Nous perdons le don des langues.

 

La lumière baisse brutalement. Que fait-on de l’incarnation – ce corps de l’impossession ?  Impossible de continuer sans regarder la réalité en face !

Il n’y a pas de chemin tracé d’avance. Simplement notre irrésignation et cette phrase qui claque au vent : pour celui qui ne prend pas le risque de vivre, il n’y a rien ». 

 

Natanaële Chatelain

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