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Les rats 

Huile sur toile marouflée sur bois, 59 x 43,5 cm, 2016.

J'ai croisé leur regard un matin, dans tout ce qu'il portait d'histoire.

Puis je les ai vus déshabillés de cette histoire, meurtris par un viol qui sur eux a été commis.

Cette réalité est entrée en moi par ma propre vue.

En écho, c'est tout mon corps qui a souffert. C'est tout mon corps qui s'est souvenu des traces, de l'empreinte, de la douleur brulante, à vif. Et dans la conscience de cette brûlure, l’histoire s’est agrandie de douleur, les yeux grands ouverts.

Dans un soupirail, un rat ligoté à un grillage. Plaie béante, chair boursouflée, brûlée vive par l’ingestion de grains de maïs transgénique arrosé de Roundup et de plutonium 239, ces créations humaines sans mémoire qui pullulent aujourd’hui en fusionnant avec tout ce qu’elles touchent jusqu’à rendre tout ce qu’elles touchent semblable à ce qu’elles sont, sans distinction de race, d’espèce et de forme.

Mais il n’y a pas que cela.


Au pied de ce rat qui se consume de l’intérieur, voyez cette rate, le regard figé et la gueule en train de tremper dans le sang. Près de son ventre, deux petits ratons enfantés il y a peu crèveront ici comme crèvent des rats tous les jours dans des laboratoires de recherche scientifique.

Mais il n’y a pas que cela.


La seringue que vous pouvez voir plantée dans un épi de maïs, la bouteille en plastique bleu, la pince, les chardons crevés, le reste d’un gant en latex rose, les deux panneaux de signalisation, ne sont pas des objets de décor dans une nature morte.

Ce rat encore vivant en bas à gauche, comme figé, prostré, ne joue ici aucun rôle. La tête dans les mains, il ne se protège pas de votre regard ou de celui de celles et ceux qui, après lui avoir enfoncé de force une seringue dans le ventre, y ont injecté une dose de cellules cancéreuses et une dose de cellules génétiquement modifiées.

Aucune simulation non plus n’habite le cri, l’agonie de cet autre rat qui, en bas à droite, essaye de reprendre son souffle au milieu des vapeurs de particules fines.

Aucun faux-semblant non plus, pour ce rat, sous une racine, qui la tête tuméfiée et l’œil crevé, a fait bien plus que voir ce que j’ai peint.

Mais il n’y a pas que cela.


A l’aube de sa mort, en plein milieu de la petite porte en verre que vous pouvez voir devant vous, dans la puanteur et derrière la façade transparente d’une société dégoulinante d’une crasse semblable à celle qu’elle déverse dans l’air, enfonce dans la terre et répand dans les océans depuis plus d’un siècle, un rat vous regarde.

Il ne parle pas notre langue.


Ce qui a été commis sur lui et que bien d’autres animaux subissent tous les jours sur la terre – qui elle-même n’a en rien été épargnée –, c’est aux hommes d’en prononcer le mot. Un mot qui désigne la puissance de haine que cet acte contient et vise aussi à anéantir tout échange social.

Ce mot existe encore dans notre langue (pour l’instant).

Je vous l’ai dit…

Sachant cependant qu’employer ce mot en regard de ce que subissent des animaux et la terre n’a souvent que très peu d’écho dans les cœurs et les cerveaux humains contemporains, je vous le redis à présent. Il s’agit d’un viol.

 

Yvan Chatelain

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