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Le lion

Huile sur toile marouflée sur bois, 59 x 43,5 cm, 2017.

Ici, dans le cirque (comme au zoo) même l’horizon a été enclos. Vous comprenez ?

Vous comprenez ce que cela veut dire : même l’horizon est enclos !?

 

Appauvri, le regard.

Bafouée, l’acuité.

Eradiqué, l’aguet.

Estropiée la concentration

Atrophiés, le geste, le mouvement, la grâce.

Brisé, l’élan.

Immobilisée, la peur.

Flétri, le désir.

Là où il n’y a plus que des barreaux d’acier comme seule et unique contrée, tout devient pauvre en monde.

Et quand chaque soir un même verdict est prononcé, quand chaque soir le lion quitte l’arène et s’en va vers une autre cage où il passera la nuit et la journée jusqu’au lendemain soir,  intégrés, adaptés ou éduqués à mort, des enfants applaudissent comme leurs parents.

Elevé, possédé, brisé dans ce que l’homme est venu ignorer du monde en lui.

Face à face d’une incroyable violence…

Ici, dans le cirque (comme au zoo), le lion est condamné à l’ennui à perpétuité.

 

Et claque et claque le fouet derrière le lion pour qu’il trottine et tourne en rond.

Et claque et claque le fouet jusqu’à ce que le lion saute sur un tabouret, s’y assoie, lève une patte vers la foule en rugissant.

Et claque et claque le fouet pour que le lion fasse de petits bons d’un tabouret vers d’autres tabourets.

Et tournoie la baguette du dresseur en frappant sur le sol pour que le lion, redescendant du tabouret, fasse maintenant quelques galipettes sur le sol.

Et taquine et taquine la gueule du lion la baguette du dresseur jusqu’à ce que le lion montre ses crocs et d’un coup de patte repousse la baguette en rugissant.

Et claque et claque le fouet pour que comme des enfants jouant à saute-mouton, le lion fasse des petits bons par dessus une lionne qui est là, elle aussi séquestrée.

 

Pas un soir de silence, pas un sursaut de dissidence, pas un geste de résistance. Pas un soir où dans le cirque, le dompteur aura vu entièrement vide les gradins de l’arène.

Non, pas un soir où, saluant glorieusement la foule en souriant, le maître et possesseur de la nature, n’aura été congratulé par une nuée d’applaudissements.

 

Cette constatation que l’homme peut gouverner en n’ayant aucun sens pour la vie d’autrui ne suffit pas à conjecturer le sort vers lequel notre civilisation conduit des espèces animales et l’humanité elle-même aujourd’hui.

A cet endroit, même la mort ne peut libérer qui que ce soit.

 

Face à face avec l’ignorance, le mépris, un lion se souvient.

Regardez, ce n’est pas la suffisance de l’homme à l’égard de ce qui l’entoure qu’il regarde.

Ne parlez pas, n’applaudissez plus.

Yvan Chatelain

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