Les poussins, les poules, les coqs
Huile sur toile marouflée sur bois, 59 x 43,5 cm, 2016.
« Comment se comporter dans une société où tout est permis ? », demandait Albert Camus.
Dans notre société, tout n’est pas permis, mais le fait de le faire croire permet de sonder les fantasmes d’autrui. Ainsi fait, nourrir les fantasmes d’autrui permet de le diriger vers un chemin sans destinée.
C’est quoi pour vous, l’art ?
C’est quoi pour vous, une forme ?
C’est quoi pour vous, une vie ?
C’est quoi pour vous, un être, une différance, un mouvement, un regard, une l’histoire, une présence, la vraisemblance, l’intelligence, l’amour ?
C’est quoi pour vous, un partage ?
C’est quoi pour vous, l’actualité, l’adaptabilité, l’intégration, la compétitivité, la croissance, le progrès ?
C’est quoi pour vous un crime ?
C’est quoi pour vous, l’ignorance ?
C’est quoi pour vous, la souffrance, la résistance ?
C’est quoi pour vous, un sentiment ?
C’est quoi pour vous, la peur, un étouffement, une suffocation ?
C’est quoi pour vous, la fiente, la pisse ?
C’est quoi pour vous, respirer ?
C’est quoi pour vous, agoniser ?
C’est quoi pour vous, savoir ?
C’est quoi pour vous, une forêt ?
C’est quoi pour vous, l’herbe, la pluie, le vent, le soleil, la terre ?
C’est quoi pour vous, l’autre ?
C’est quoi pour vous, se souvenir ?
C’est quoi pour vous un génocide, un camp d’extermination, un camp de concentration, un camp d’élevage industriel ?
C’est quoi pour vous, un regard ?
C’est quoi pour vous, discerner ?
C’est quoi pour vous, le droit ?
C’est quoi pour vous, le contrôle ?
C’est quoi pour vous, un monstre ?
C’est quoi pour vous, le bien-être, le bonheur, la jouissance ?
C’est quoi pour vous, survivre, combattre, être digne, faire signe ?
C’est quoi pour vous, une parole ?
C’est quoi pour vous, une différence, l’indifférence ?
C’est quoi pour vous, l’existence ?
C’est quoi pour vous, vivre ?
C’est quoi pour vous, un corps, un mot, un sentiment, un chant, un cri, un hurlement ?
C’est quoi pour vous, réagir, agir ?
C’est quoi pour vous un projet, une loi, un programme, un ordre ?
C’est quoi vous interroger, s’interroger, réfléchir, comprendre, penser ?
C’est quoi pour vous, la liberté, l’enfermement, la torture, la puissance, l’impuissance ?
C’est quoi pour vous, une norme, la normalité ?
C’est quoi pour vous une cage, des barreaux, la honte, la suffisance, le mensonge, la haine, le viol ?
C’est quoi pour vous, un poussin, une poule, un coq ?
Les limites du savoir, vous pourrez les repousser, les barreaux, vous pourrez les scier, mais contre l’horizon qui est notre ombre entre barreaux, que fait-on ?
Yvan Chatelain
« (…)
et maintenant la bouche pleine de syllabes comment trier
trop de noms et pas de visages des formes vides et pas d’objet
le monde est un chaos de courant d’air qui voudraient s’incarner
on a tant parlé du corps qu’il ne reste plus la moindre chair
qu’est-ce d’ailleurs qu’un corps quand la marchandise l’a pris
on en cherche parfois le souvenir dans les décharges verbales
un organe isolé n’est bon à rien il a perdu son sens
aucun mot n’a d’emploi défini on a fait le vide par derrière
et maintenant on les mâche un à un pour goûter la poussière
c’est le temps dit-on qui craque sous la dent au lieu de vous broyer
nul ne sait ce que faisait le temps désormais au beau fixe
tout est devenu transparent sous le regard de la domination
on a droit à un morceau de ce regard en guise de pensée
tout est vacant dans une égalité enfin purement industrielle
on a fait des fagots de Je des fagots de Tu brûlé l’altérité
un Nous sans personne a consommé toute notre mémoire
l’insignifiance désormais est aussi inépuisable que le fut la mort
(…) »
Bernard Noël. Ce jardin d’encre.