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« (…)

 et maintenant la bouche pleine de syllabes comment trier

trop de noms et pas de visages des formes vides et pas d’objet 

le monde est un chaos de courant d’air qui voudraient s’incarner

on a tant parlé du corps qu’il ne reste plus la moindre chair 

qu’est-ce d’ailleurs qu’un corps quand la marchandise l’a pris

on en cherche parfois le souvenir dans les décharges verbales

un organe isolé n’est bon à rien il a perdu son sens

 

aucun mot n’a d’emploi défini on a fait le vide par derrière

et maintenant on les mâche un à un pour goûter la poussière

c’est le temps dit-on qui craque sous la dent au lieu de vous broyer

nul ne sait ce que faisait le temps désormais au beau fixe

tout est devenu transparent sous le regard de la domination

on a droit à un morceau de ce regard en guise de pensée

tout est vacant dans une égalité enfin purement industrielle

on a fait des fagots de Je des fagots de Tu brûlé l’altérité

un Nous sans personne a consommé toute notre mémoire

l’insignifiance désormais est aussi inépuisable que le fut la mort

(…) »

Bernard Noël. Ce jardin d’encre.

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